Une ferme en 1921 - Septembre
Vendredi 2 septembre 1921
Le fermier a réussi à avoir la batteuse le premier du village parce qu'il a la récolte la plus importante et a pu commencer aujourd'hui le battage . La machine appartient à un mécanicien des environs qui l'a acheté avant la guerre à l'état de neuf chez un constructeur de Nevers et l'avait payé à l'époque 5000 F , alors qu'actuellement elle coûte 3 ou 4 fois plus.
Le matériel de battage se compose d'une locomobile à vapeur d'une force de six chevaux montée sur roues pour permettre son transport sur route , d'une grosse batteuse et d'un lieur pour la paille .
Ce soir le fermier a envoyé ses deux domestiques avec chacun 3 chevaux pour ramener le matériel de battage qui avait travaillé à la ferme du moulin du foulot appartenant au même propriétaire , distante d'environ un kilomètre.
On a d'abord attelé la locomobile après en avoir vidé le foyer et rabattu la grande cheminée et on a attaché derrière un petit tombereau à deux roues contenant les outils et ingrédients nécessaires pour l'entretien et la réparation du matériel. Puis on a attelé la batteuse après avoir attaché la botteleuse .
A l'arrivée dans la cour de la ferme on a disposé la batteuse près du grenier contenant le blé afin que de la porte de celui-ci on puisse jeter les gerbes sur la plateforme de la machine ; l'emplacement en avait été préalablement balayé afin de pouvoir ensuite ramasser sans impuretés le grain tombé à terre; puis on enleva ses brancards , cala ses roues et mis des vérains pour empêcher à la batteuse en action de fatiguer les ressorts destinés seulement au transport sur la route . La locomobile fut placée devant dans le même alignement afin d'installer la courroie de transmission ; on releva la cheminée et les mécaniciens retournèrent à la ferme où ils avaient battu pendant la journée.
Le fermier avait dans la journée recruté le personnel nécessaire en traitant de la façon suivante : il avait demandé à des fermiers de la commune de lui envoyer un ou deux hommes pour le temps que durerait le battage, sous la condition d'envoyer un même nombre d'hommes et pendant le même temps au battage de ceux-ci .
On avait également emprunté une charrette pour le transport de la paille et un van pour le transport des balles ; on avait préparé les outils , les sacs et la ficelle et immergé dans la mare une vieille brouette sur laquelle appuyait l'extrémité d'une planche bloquée à l'autre bout sur le sol et destinée à permettre de puiser de l'eau assez loin du bord pour la locomobile.
Samedi 3 septembre 1921
Vers les 5 heures du matin le mécanicien et son aide sont allés à la machine, ont remplis la chaudière d'eau, ont allumé le foyer, vérifié tous les organes et abondamment graissé toutes les parties flottantes.
Le chauffage est assuré par des briquettes de charbon aggloméré avec des huiles lourdes et produisant par suite une grande flamme. Elles sont à la charge du fermier qui se les procure chez un marchand des environs, elles pèsent 9 kilogrammes et coûtent cette année 1 F 80 pièce. La machine en consomme une trentaine par jour. Souvent elles ne sont pas de très bonne qualité et on est obligé de bruler un peu de bois avec elles.
Les ouvriers sont arrivés et se sont rendus dans la grande salle de la ferme où on leur paye la goutte,c'est à dire on leur offre un peu d'eau de vie. La machine étant sous-pression, le mécanicien siffle , les ouvriers alors s'approchent, chacun se rend à sa place respective; on ouvre les purgeurs, lance à la main le volant et le tout se met en mouvement.
On commence à faire passer quelques bottes de paille provenant du battage précédent afin de vider complètement les organes de la machine du grain qui y était resté.
Le mécanicien, en plus de la machine, fournit deux hommes pour faire fonction d'engréneurs c'est à dire pour introduire le blé sous les fléaux de la machine; ces deux hommes se relayent de ce travail assez pénible et font office de chauffeur, approvisionnant la machine en charbon et en eau.
Le service de la batteuse nécessitait quatorze hommes:
-Deux étaient sur le grenier, le premier prenant les gerbes sur le tas et les passant au second qui les lançait sur la plateforme. Quelquefois un troisième était nécessaire lorsque le grain se trouvait loin de la porte du grenier .
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- Sur la plateforme trois hommes, l'un recevant les gerbes et coupant le lien avec son couteau, le deuxième muni d'un bâton approchait la céréale du troisième, en même temps qu'il la désagglomérait et qu'il l'égrénait, les doigts , munis de sorte de doigts de fer blanc pour éviter les piqures de chardon et l'écrasement du bout des doigts, poussaient le tout sous les fléaux de la batteuse.
- Le grain tombait par trois orifices que l'on pouvait obturer à volonté par un volet de fer et sous chacun desquels était fixé un sac. Un homme s'occupait de chaque conduit; lorsque le sac était plein, il poussait le volet, tordait le bord du sac, le chargeait sur les épaules et allait le vider dans le grenier. Par ce moyen il n'y avait pas de temps perdu, toujours un homme était présent près des sacs pendant qu'un autre allait au grenier et que le troisième revenait. C'était le travail le plus dur, car ces sacs contenaient quatre double-décalitres pesaient environ soixante kilogrammes et il fallait les porter pendant une cinquantaine de mètres et les monter ensuite sur le grenier, aussi une bouteille de vin avait été disposée près du tas.
-Un ouvrier était près de la botteleuse,chargé de ramasser la paille non liée et de la remettre dans l'appareil.
- Un autre prenait avec une fourche les bottes et les tendait au conducteur de la charrette qui les empilait sur le véhicule. Deux charrettes transportaient la paille au grenier; là le conducteur la déchargeait, tendant les bottes à un ouvrier qui les empilait au fur et à mesure.
Le quatorzième ramassait les balles; il posait sur un van par terre, la concavité tournée vers l'extérieur et attirait dessus les balles à l'aide d'un râteau , puis lorsque le van était plein, le chargeait sur une brouette et allait le vider dans un coin de la cour.
Aujourd'hui on a battu du blé ,commençant par le bon fermier . Les rendements sont énormes et le grain est magnifique d'aspect, car il avait été coupé le dernier étant moins mûr que l'autre et avait profité de la petite pluie. Puis on est passé au Raclain qui a donné beaucoup, mais le grain est beaucoup plus sec et de plus on trouve une forte proportion de grains cassés, ce qui tient à ce que ces grains avaient été creusé par la larve de l'alucite des céréales que l'on appelle simplement papillon dans le pays. Quelques chariots avaient été rentrés un matin pendant la pluie et il était arrivé que les grains de la partie supérieure du tas par suite de l'humidité avaient gonflé , germé, ce qui rendait le battage très difficile, car le grain ne se séparait pas de ses enveloppes.
Le blé par suite de la présence de grains cassés et de balles aura une valeur marchande un peu moins élevée, car les meuniers profitent de ce qu'il y a un peu moins d'aspect pour diminuer le prix, quoique la quantité de farine extraite soit sensiblement la même.
Dimanche 4 septembre 1921
On a battu du blé toute la journée , mais on a pas terminé la récolte il sera impossible de le faire pour le moment , car le mécanicien ne peut plus que donner un jour et on l'emploiera pour battre de l'avoine. Le reste sera battu au mois d'Octobre et on pense qu'il y en a encore pour deux jours . On a battu l'hybride inversable en entier et continuer de battre un peu de Raclin . Le grain récolté est de même qualité que celui qui a été battu hier et il y a toujours autant de grains cassés .
J'ai demandé au mécanicien combien il pouvait battre par jour, il m'a répondu que les années ordinaires on pouvait atteindre 700 à 800 doubles et dans les années où le rendement est plus élevé comme cette année aux environs de 900 doubles, ceci pour le blé . Quant à l'avoine on arrive dans les années normales 1200 doubles par jour, donc 170 hectolitres par jour pour le blé et 250 hectolitres pour l'avoine.
Les ouvriers sont nourris à la ferme pendant le battage et on les nourrit fort bien. Le travail commence à 6 heures du matin (les ouvriers disent que cela fait cinq heures car ils n'ont jamais accepté le changement d'heure) après qu'ils ont pris un petit verre de goutte (eau de vie). Vers 8 heures ils s'arrêtent et vont manger la soupe du matin. Ce premier repas dure environ une demi-heure et se compose de soupe , de fromage,de pain et de vin.
Le repas principal est pris à midi et dure plus d'une heure , il se compose d'un plat de viande( très souvent du porc tué à la ferme ) , d'un plat de légumes de fromage de café et souvent d'un peu d'eau de vie .
Une nouvelle halte a lieu à 4 heures où on consomme un léger repas et la fin de journée est à 7 heures . Alors on prend le dernier repas de la journée , la soupe en est le plat principal suivie d'un plat de viande et de légumes,pas de café;
Comme on le voit les ouvriers sont très bien nourris , cependant ils ne sont jamais satisfaits ; cela revient beaucoup plus cher que de leur donner l'équivalent en argent , car on estimerait les repas à 6F alors qu'il en coûtent plus de 10F. Le vin en effet est très cher et chaque ouvrier en consomme plus de 2 litres par jour . Cette habitude est bien implantée et il serait très difficile de s'en séparer; en effet les ouvriers y trouvent leur avantage et ne voudraient pas travailler sans être nourris.
Les haltes de 10 minutes sont fréquentes pendant le travail, en sorte que le travail effectif de la journée est de 10 heures environ.
Lundi 5 septembre 1921
Ce matin on a battu l'orge , ce qui a été rapidement fait , car il n'y en avait pas beaucoup .La récolte en a été moyenne et le grain est de bonne qualité. On a continué par l'avoine d'hiver qui est belle et rend bien, et dans la soirée on a battu une partie de l'avoine de printemps. Celle ci n'est pas aussi belle que l'on pensait elle a bien un fort rendement en volume, mais elle est très légère et renferme une forte proportion de grains blancs , c'est à dire insuffisamment mûre et par ce fait contenant peu d'amande.
Le grain a été mis sur le grenier de la maison d'habitation qui est planchoyé en des tas de 0m50 de haut environ séparés les uns des autres par des planches . Il sera bientôt vendu aux minotiers qui ont déjà fixé les prix.
Une journée de battage revient donc très chère . Le mécanicien demandera probablement cette année 200F pour le travail de sa machine et des deux hommes qu'il fournit ; avec cela il faut compter le charbon nécessaire : 30 briquettes à 1F80 pièce puis le bois ; la ficelle pour le liage de la paille,soit encore 40F . Il faut payer les salaires des 12 ouvriers et l'on pense que chacun demandera 15F ; quant à la nourriture on peut compter 10F par jour soit pour les 15 hommes une dépense de 150F . En récapitulant on aura dans le détail suivant:
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- Location de la machine: 200F
- Chauffage : 70F
- Ficelle Botteleuse : 40F
- Salaire des ouvriers : 180F
- Nourriture des ouvriers: 150F
TOTAL = 640F
Le prix de revient brut de la journée de battage est donc de 640 F; en réalité les fermiers dépensent moins , car ils ne payent pas tous les ouvriers, les indemnisant en leur restituant une journée de travail au moment de leur propre battage, et de plus la dépense est moins importante pour la nourriture, car ils servent aux repas leurs propres volailles et un porc engraissé dans la ferme, avec des légumes produits sur l'exploitation.
Mardi 20 septembre 1921
En attendant l'arrachage des pommes de terre, on a commencé à labourer la place occupée par le blé afin de semer de l'avoine d'hiver ; mais après avoir retourné deux ou trois hectares on y a renoncé car on estime ne pas pouvoir semer en ce moment à cause des campagnols et des mulots . Ceux-ci sont en telle quantité dans le champs que la semence serait aussitôt dévorée. Le labourage ne les détruits pas et aussitôt la charrue passée , ils reviennent et creusent de nouvelles galeries. On espère qu'une épidémie se développe et les décimera. On a remarqué que généralement une grande abondance de ces ravageurs disparaissait à l'automne.
Depuis fort longtemps on n'en avait vu autant que cette année et les dégâts qu'ils ont causés sont considérables ; leur extrême multiplication a sans doute été favorisée par la sécheresse persistante . Certaines prairies sont criblées de trous, ce qui provoque souvent des affaisements du solsous les sabots des boeufs et des chevaux . L'herbe ne repousse pas dans ces endroits . Dans les champs , leurs dégâts se sont faits sentir dans toutes les cultures : sur le blé en pied coupant la tige pour manger l'épi sur le sol ,et coupant les ficelles des gerbes à la moisson rendant difficile leur chargement. Les betteraves , les pommes de terre et les carottes ont eu principalement à souffrir de leurs ravages. Souvent on remarque dans le champs des betteraves dont les feuilles sont un peu flétries et retombent sur le sol; si on la tire on constate qu'elle s'arrache facilement et cela parce que le bout de la racine a été coupé. La betterave se fane et le rat continue à en ronger l'intérieur jusqu'à ce qu'il n'en reste plus que l'écorce. Les carottes sont attaquées de même , et les pommes de terre sont creusées et par là même inutilisables. Même les fourrages artificiels n'ont pas été épargnés et j'ai vu des champs de trèfle qui étaient bien fournis au mois de juillet être complètement dévorés et ne plus présenter que quelques tiges pour la coupe du mois d'aout , le sol en était si raviné que l'on arrivait à compter jusqu'à 30 trous au mètre carré. Ils se sont même introduits dans les jardins où ils s'attaquent à tous les légumes et aux treilles ainsi qu'à tous les fruits.
On ne fait rien pour leur destruction d'abord parce qu'il faudrait dépenser quelqu'argent pour cela et que le paysan ne veut rien sortir de sa poche ,et ensuite que parce que chacun se dit que si il est le seul à les détruire dans ses propriétés, cela ne servirait à rien , il en recevrait aussitôt venant des propriétés voisines. Le principal emboucheur de la commune avait fait un essai dans ses prairies il y a quelques années . Ayant acheté du blé empoisonné à l'arsenic, il les avait répandu soigneusement dans ses prés dans chaque trou. Cela avait fait très bon effet; mais malgré les précautions prises,cela avait aussi eu des résultats funestes; des pies ayant mangé les rats crevés hors des trous avaient elles-mêmes empoisonné les renards qui les avaient dévorées, les effets avaient été si foudroyants que les cadavres avaient été retrouvés très près de la prairie. Ce propriétaire a craint d'empoisonner chiens et chats du pays, ainsi que le gibier, et n'a jamais recommencé..
Dans la cour de la ferme était un tas de fumier de 12 mètres de long , 10 de large et 1 m de haut ; le volume était donc de 120 m3 et comme c'était un fumier bien décomposé ,on pouvait évaluer sa densité à 1,5 ,ce qui représentait un tas de 160 tonnes . Aujourd'hui on en amené sur la place occupée par la jachère, et dans laquelle on avait passé le scarificateur pour désherber il y a une quinzaine de jours . Dans la cour le fumier était coupé à la bêche par un homme monté sur le tas et chargé par deux autres hommes munis de tridents en fer . Son transport était assuré par le chariot à récoltes attelé de 2 chevaux et transformé un peu . Sur le fond en effet on avait étendu deux planches et une sorte de grand volet de bois à la place des échelles servant pour les céréales .
Le chargement se trouvait donc réparti d'un seul côté n' était pas retenu de l'autre ; cependant il ne tombait pas en route , car le fumier est bien décomposé et fait corps. La charge du chariot pouvait être de 1,5 m3 , c'est à dire 2 T environ . Sur le champs le fumier était déchargé à l'aide d'un trident coudé, afin de pouvoir le tirer et le faire tomber tous les dix mètres environ en tas de 0m50 dediamètre et 0m40 de haut , c'est à dire un dixième de m3 environ. La quantité amenée sur la jachère a été aujourd'hui de 10 chariots.
Jeudi 22 septembre 1921
Hier matin on a fini de mener le fumier sur la jachère avec 5 chariots , ce qui porte à 15 chariots la quantité menée sur une superficie de 1,80 ha , ce qui représente une fumure de 16 Tonnes par ha .
Dans la soirée on a conduit le fumier sur la place occupée par le sainfoin et le trèfle et on a continué aujourd'hui ; on y mènera tout le reste du tas; le fumier nécessaire pour les pommes de terre et les betteraves sera fourni par le fumier des bovins cet hiver . Le trèfle et le sainfoin coupés il y a une quinzaine de jours commencent à repousser ; ce sera donc à enfouir sur labour en fournissant un engrais vert non négligeable.
Les betteraves profitent admirablement et ont déjà atteint une belle taille ,pourtant pas aussi belle qu'elles auraient dû être si la sécheresse n'avait pas ralenti leur croissance.
La luzerne a également très bien repoussé ; elle est actuellement très fournie et atteint une hauteur de 0m30 ; on ne fera pas de troisième coupe car on a suffisamment de fourrages pour l'hiver.
Les prairies commencent à souffrir de la sécheresse et l'on va se hâter de vendre et d'expédier des bovins à Paris . Il y a encore beaucoup de boeufs gras dans la commune que l'on met dans les prés de revive pour les finir d'engraisser; on a été assez longtemps sans pouvoir en expédier , au début par manque d'herbe et des cours très bas ,ensuite à cause de la fièvre aphteuse .
Nous avons un temps vraiment exceptionnel pour la saison, qui favorise tous les travaux et active la maturation des raisins et des fruits malheureusement en certains endroits on continue de se plaindre des manques d'eau ,comme il y a un mois et demi.
La récolte des pommes de terre a débuté ce matin par l'arrachage des Early roses , plus précoces . Un domestique a d'abord passé avec la charrue ordinaire attelée de 2 chevaux soulevant la raie des pommes de terre . Après ce premier travail accompli chacun muni d'une pioche cherchait au milieu de la terre retournée les tubercules .
Ainsi le travail est beaucoup moins pénible que l'arrachage exclusivement à la pioche, opéré par les petits cultivateurs et est plus rapide .
La récolte n'est pas très importante par suite des grandes chaleurs et de la sécheresse, les pommes de terre étaient arrivées trop rapidement à maturité et les tubercules étaient très petits. La pluie survenue il y a un mois les avait fait reverdir , repousser et on trouve après les premiers tubercules formés un nombre important de de petits tubercules de la taille d'une noix et qui ont repoussé depuis. Ainsi le nombre de tubercules trouvés à chaque pied est important mais ils ne sont pas assez gros .
Les hommes jettent les tubercules entre les deux raies en sorte qu'elles forment une longue trainée sur le sol.
Vendredi 23 septembre 1921
On a continué l'arrachage des pommes de terre ,Institut de Beauvais et Boule de neige, en opérant comme précédemment . Ces variétés étant plus tardives que l'Early , font que les tubercules n'étant pas arrivés à maturité à l'arrivée de la pluie et qu'ils avaient continué à croître; les tiges étaient encore vertes et on aurait pu attendre une quinzaine de jours avant de les arracher. Mais on a préféré terminer ce travail le plus tôt possible , car on peut craindre un changement de temps et on a de plus des travaux très pressés à faire , tels que les semailles d'avoine d'hiver et le labourage des places à blé.
Partout dans la commune on arrache les pommes de terre et j'ai remarqué que la récolte était très inégale, dans certains champs elle elle était presque la même qu'une année normale tandis que dans d'autres elle était très déficitaire . Je pense que cela tenait en grande partie à la nature du sol et de la variété plantée qui craignait plus ou moins la sécheresse.
Il existe une variété spéciale cultivée dans le pays appelée Cordelée, sans doute pour sa ressemblance avec un morceau de corde à noeuds et destinée uniquement à la consommation familiale , cuite dans la marmite avec un peu d'eau , estimée car elle garde ainsi sa chair ferme et farineuse .
Cette variété a des tubercules en général petits, allongés, cylindriques noueux de teintes rouge-brique . La chair blanche rosée au centre va en rougissant à mesure qu'on s'approche de la pelure est ferme et sèche rarement claire comme celles de beaucoup de pommes de terre à chair blanche . Elle est à peu près la seule consommée par les habitants avec toutefois un peu de boules de neige pour les plats , toutes les autres étant destinées à la nourriture des porcs et des volailles.
Samedi 24 septembre 1921
Pendant que deux hommes continuaient à arracher , les deux autres aidés du berger ont mis les tubercules arrachés en tas . Ils ont attendu cependant que le soleil ait séchés la rosée de la nuit. Chacun muni d'un panier en osier à deux poignées suivait une raie et remplissait au fur et à mesure en ayant soin d'enlever avec les mains la terre adhérente à chaque tubercule . Le panier rempli était ensuite vidé sur un tas commun à trois raies . Les tas formés étaient coniques et avaient en moyenne 1m50 de diamètre et 1m20 de haut . Chaque tas était ensuite recouvert des fanes ramassés sur le sol .
On avait ramassé uniquement les tubercules de grosseur moyenne , les petits ayant été laissés en terre , de même les pommes de terre coupées ou attaquées par les rats , et les pourries. .IL y en avait peu de coupées les hommes se servant de surtout du côté de la pioche possédant deux dents ou bien du tranchant, les pourries étaient très rares cette année par suite de la sécheresse, ce sol par temps humide est très favorable à la pourriture
Lundi 26 Septembre 1921
Hier et aujourd'hui on a rentré les pommes de terre à la ferme pendant que le fils du fermier a labouré la place de l'avoine d'hiver dans les champs-nées , place occupée cette année par le blé de la variété Bon Fermier .Le fermier s'est tout de même décidé après avoir attendu le plus tard possible , mais voyant qu'aucun changement de temps ne s'annonçait , il a fait faire le labour . Cette opération se fait assez bien, car la terre très sèche se divise bien.
La rentrée des pommes de terre se faisait au moyen de tombereau attelé de 2 chevaux et muni de réhausses , on l'arrêtait en face de chaque tas et les hommes remplissaient leur panier et le déversaient dedans . Le tombereau plein était ensuite amené à la ferme par le charretier qui aidé du fermier le déchargeait en le basculant dans la grange du presbytère louée par le fermier . Pendant cet intervalle , afin de ne pas perdre de temps les hommes dans le champs remplissaient des sacs qui étaient ensuite mis sur le tombereau .
La charge de chaque voyage était d'environ 1 tonne 200 et comme on a rentré 10 tombereaux , cela fait un rendement de 12 tonnes pour cette surface d'un hectare environ ,un peu inférieur à la moyenne du pays en année normale.
Ce soir on a ramassé les petits tubercules laissés précédemment sur le terrain et on a rentré ainsi un tombereau et demi ; ils sont destinés à être cuits pour les porcs.
Pendant deux jours les couvreurs ayant terminé leur travail dans la nouvelle construction , ont travaillé sur la maison d'habitation . Ils ont d'abord raclé la mousse qui avait poussé sur les tuiles de la maison d'habitation, bonne opération , car cette mousse retient l'eau qui ronge les tuiles et finit par les percer . Puis ils ont recrépi les murs dans les endroits qui avaient été dégradés par les pluies ,ainsi que les cheminées, et ont refait les cordons de ciment couvrant les angles du toit et le bord des lucarnes.. Ces bâtiments sont en général bien entretenus, car les propriétaires ne néglige jamais d'y faire travailler les ouvriers .
Mardi 27 septembre 1921
Le premier domestique est allé ce matin herser la partie du champs que l'on veut semer en avoine d'hiver pendant que le deuxième domestique labourait la place à semer le blé . Le hersage fut fait avec une herse en fer articulée , trainée par un cheval et dans deux sens perpendiculaires . La
terre se travaillait assez bien et s'est très bien divisée , malheureusement elle est très sèche et si une petite pluie ne survient pas , on craint que le grain mette un certain temps à lever et que les souris le dévorent.
Dans la soirée le domestique a semé l'avoine . La semence avait été amenée sur le champs dans des sacs chargés sur le tombereau. Pour semer le domestique avait revêtu un grand tablier de grosse toile blanche dont il tient le bas relevé de la main gauche . Ayant soin de marcher dans le sens du vent , il prenait des poignées de grain en son tablier et le lançait devant lui , dessinant de la main un arc de cercle afin de le disperser.
Ce matin il avait gelé un peu , ce qu'on prévoyait hier soir , car il soufflait un vent violent du nord , et il faisait un peu froid , aussi on avait couvert dans les jardins les légumes qui auraient pu souffrir de ce refroidissement, tomates et haricots . Il ne serait pas à souhaiter que des gelées aussi précoces ne sévissent ,car elles feraient beaucoup de dégâts . L'année dernière cela avait été déjà ainsi , la commune a été très exposée au gel en particuliers à cause de sa situation dans la vallée , de son exposition et du peu d'abris naturels qu'elle possède.
Fin Septembre début octobre 1921
Les semailles d'avoine d' hiver étant terminées on a plus aucun travail prenant à faire avant les semailles de blé d'automne . Cette sécheresse qui sévit de nouveau depuis un mois et demi a fait baisser l'eau des mares et a tari les plus petites. Ainsi beaucoup de petits cultivateurs ont été obligés de chaque jour aller chercher de l'eau à la rivière et dans les mares communales , d'aller ensuite la porter à l'aide de seaux sur le tonneau dans des récipients ( baquets de bois , auge en tôle , ou marmite en fonte ) disposés dans leurs prés où se trouvent leur troupeau.
Certains en profitent pour curer leur mare .
Le fermier a décidé de faire curer la grande mare du champs de Siam et qui était pleine de vase .
Il a commencé par emmener dans un autre pré les jeunes bovins qui y pâturaient et qui ne pouvaient plus boire et y a mis des moutons afin que l'herbe restante ne soit pas perdue.
Cette mare est de très grande dimension de long comme de large ; elle ne possède pas comme beaucoup d'autres mares de murs pour retenir la terre , en sorte que les animaux la font descendre dans la mare en marchant sur les buttées . De plus cette mare n' a pas été nettoyée depuis fort longtemps , parce que c'est un travail rude et pénible et que cela ne peut être fait que les années sèches et par manque d'eau pour permettre le curage.
La boue avait une épaisseur de 1m50 au milieu , ce qui correspondait à un volume environ de 80 mètres-cube . Elle était de couleur brun foncé , très compacte assez humide en surface mais se durcissant à mesure qu'on s'approchait du fond ; elle provenait des mottes de terre que les animaux y avaient fait tomber ,de leurs déjections lorsqu'ils s'abreuvaient dedans et des argiles entrainés par les eaux de ruissellement qui avaient rempli la mare.
Le charretier reculait le tomberau attelé de deux chevaux sur lebord de la mare , le calait d'une grosse pierre pour que le cheval de derrière n'ait pas à retenir et les hommes chargeaient avec des pelles . Deux étaient de chaque côté du tombereau et les deux autres par derrière avaient du se déchausser et entrer dans la boue jusqu'au genou. Ce travail est très sale , car les ouvriers sont obligés de piétiner dans la vase et de plus en la lançant dans le tombereau, ils s'éclaboussent de la tête aux pieds .
Cette boue était très dense , aussi les hommes n'en prenaient que très peu dans leur pelle et il fallait vider le tombereau dès qu'il en contenait environ un mètre cube . Le tombereau était déversé dans le pré en des tas espacés de quelques mètres et cette boue était ensuite écartée.
Ces boues provenant du curage contenaient un certains nombres d'éléments fertilisants, mais comme elles sont restées longtemps dans l'eau elles sont compactes , privées d'air , aussi lorsqu'on veut les employer , faut-il les mettre auparavant en de gros tas exposés l'hiver aux gelées qui les délitent et les aèrent.
Le propriétaire de la ferme fait ramasser tous les ans au printemps les tas faits sur le bord des routes par le cantonnier provenant du curage des fossés , qui ont passé l'hiver et les fait répandre sur ses prairies. Celles-ci en particuliers sont un très bon amendement, car contenant une forte proportion de calcaire elles corrigent l'acidité des terres de vieilles prairies.