Une ferme en 1921 - Juillet
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un stage a la ferme 1921 (781.52 Ko)
Monographie d'un domaine agricole à Champlin (Nièvre)
Le domaine que nous allons étudier fait partie de la petite commune de Champlin, laquelle est située à la pointe nord du canton de Prémery et approximativement au centre du département dans une dépression des collines du Nivernais, formant ainsi une vallée accidentée et presque fermée de 2 km de longueur sur 4 km de largeur, orientée du Nord au Sud et dominée par la butte de Montenoison , point culminant de la chaîne.
Cette commune s'étend au milieu de la région des riches pâturages du département et de la zone d'embouchure de l'Yonne et de la Nièvre, aussi les prairies occupent -elles les 2/3 de sa superficie et s'étendent le long du petit ruisseau de l'Arthel tributaire de l'Yonne, d'un faible débit, mais ne tarissant jamais. Elles couvrent toutes les parties basses et grimpent à l'assaut des collines dont les sommets formant plateaux, sont couronnés de champs de culture.
Deux parcelles de bois d'une belle venue dont l'une appartient à la commune qui en partage le produit entre ses habitants sont situées à l'extrême Nord. Les maisons s'étalent le long des deux routes départementales qui traversent la commune et se coupent à angle droit près de l'église. Elles ont un aspect coquet et propre , et sont entourées de jardins et de vergers plantés principalement de pruniers et de pommiers.
Le voyageur qui vient à Champlin pour la première fois par la route d'Arthel est d'abord frappé par l'étendue de ces grasses prairies d'embouche bordant à gauche et à droite la route et dont beaucoup ont de 20 à 30 hectares de superficie; mais lorsqu'il a gravi le petit plateau sur lequel est bâti l'agglomération et que, se tournant du côté du Nord, ses yeux embrassent une étendue de près de 1000 hectares de magnifiques prairies vallonnées où sont groupés par trente ou quarante les superbes boeufs blancs Nivernais, il reste émerveillé devant la richesse de cette vallée.
Cependant la beauté et le pittoresque du paysage sont quelque peu gâtés par la rectitude et l'uniformité des lignes grises de démarcation des prairies; pas ou peu de haies vives au gai et vert feuillage , mais des murs de pierres sèches de 1m20 à 1m30 de haut pourvus d'escaliers facilitant l'escalade .
Quelle longueur de murs ! La commune en possède bien 30 kilomètres. Quoique la roche se trouve à fleur de terre sur le plateau , on peut juger du travail qu'il a fallu pour édifier ces murs et quelles sommes il faudrait à l'heure pour les réédifier si un cataclysme venait à les anéantir.
Quels avantages ont trouvé les grands propriétaires à employer une clôture aussi onéreuse ? Peut -être leur permettait-elle de voir leurs troupeaux de plus loin et leur coûtait-elle moins d'entretien, une fois construite . Peut-être aussi cela a-t-il été moins long à installer que les haies qui mettent dix ans pour faire une clôture suffisante mais par contre ont l'avantage de fournir du bois et de l'ombrage aux animaux.
Ardoin-Dumazet dans ses « voyages en France » a fait cette remarque! ''Il y a là autour du village de Champlin le plus admirable herbage qu'on puisse voir. C'est un bassin en forme de coupe très évasée, limité au couchant par une série de mamelons très aigus couronné de villages, celui de Montenoison surtout est de grand effet; de même l'entrée du vallon d'Arthel gardé par ses deux châteaux. Fonds de vallons, pentes, sommets tout est herbage. Sur ces pentes calcaires, que leur nature et leur exposition semblaient réserver à la vigne, ce n'est qu'une nappe ininterrompue de prairies et pas de limites visibles, les anciennes haies ont disparu, remplacés par des murs de pierre sèches qui enclavent la propriété tout entière.
Journal de Stage de Georges Carré - le Dimanche 17 Juillet 1921
J'ai profité de ce que mon premier jour de stage était un dimanche pour faire connaissance avec la ferme et l'étudier en détail. Les prairies offrent un contraste frappant avec celles de la région parisienne que je viens de quitter , et avec celles des régions que j'ai traversés au cours de mon voyage . En effet au lieu de maigres pâturages brulés par cette sécheresse persistante et ne portant que quelques tiges de graminées jaunies, dédaignées par les animaux , j'ai trouvé de belles prairies bien vertes garnies de troupeaux de boeufs , chevaux et moutons.
L'herbe y est abondante et nourrissante, surtout composée de légumineuses (trèfle blanc et lotier) de centaurées jacées et de graminées parmi lesquelles la flouve odorante, la houlque laineuse , les agrostis, les bromes , les fétuques et les ray-grass , on y rencontre peu de mauvaises herbes constituées surtout par des renoncules bulbeuses, des chardons dont on se débarrasse facilement et qui pour cette raison sont rares dans les prés bien tenus et des carex appelés ici rouches dans les endroits humides.
Les sauterelles sont un peu moins abondantes cette année; cela dit-on à cause de l'abondance du trèfle blanc qu'elles ne mangent pas . Plus près des rivières , des grandes sauterelles vertes et des dectiques gris qui semblent avoir une préférence plus marquée pour les herbes des lieux marécageux. Cette fertilité exceptionnelle des prairies dans cette période de sécheresse générale tient à la nature du terrain argilo-calcaire du Lias qui peut retenir de grandes quantités d'eau. De plus le sol étant très profond les racines peuvent aller chercher très loin l'eau nécessaire à la vie de la plante .
La récolte de céréales s'annonce belle cette année, quoiqu'elles aient souffert une partie de leur végétation . Le blé particulièrement a bien réussi: la paille est longue et le grain est de bonne grosseur dans un épi assez serré. Il n'y a pas de verse et il n'a pas été envahi comme l'année précédente par les mauvaises herbes. On y trouve très peu de nielles, coquelicots, bleuets et scabieuses; un peu plus de mélilots ,plante que l'on n'avait pas vue depuis longtemps et qui a poussé cette année dans toutes les cultures. Il est actuellement bon à couper principalement l'hybride hâtif inversable et le blé du pays, aussi
espère-t-on commencer la moisson demain si le temps le permet.
Les avoines de printemps ne seront pas aussi productives que le blé ; on les auraient même crues perdues il y a deux mois et on pense que leur grain sera très léger. Les orges réunies avec les avoines sous le nom de ''tramois'' donneront une récolte moyenne. Les betteraves sont belles malgré la sécheresse et depuis quelques jours on a commencé de les sarcler . Les légumes: pommes de terre, haricots, pois, carottes ont beaucoup souffert de la chaleur et ne donneront qu'une maigre récolte.
Toutes ces récoltes avaient été littéralement hachées par une terrible averse de grêle le 3 Juin, mais qui en revanche ,comme elle avait été accompagnée de pluie, avait procuré l'eau nécessaire à la
pousse des prairies.
Les arbres fruitiers ne portent presque pas de fruits ,car ils ont gelé en pleine floraison et ont été achevé par la grêle , de même pour la vigne sauf celle qui était en espalier. On ne craint pas le manque d'eau , ni pour les habitants ,ni pour les animaux ,en effet partout l'on trouve l'eau à une faible profondeur , et les mares creusées dans les prés dans la terre imperméable étant à peu près remplies actuellement conserveront encore de l'eau pendant longtemps.
Lundi 18 Juillet 1921
Une pluie fine, accompagnée d'orage et de vent , est tombée cette nuit et une partie de la soirée d'aujourd'hui, en sorte que la moisson a été retardée.
Mais cette pluie quoique peu abondante a une telle influence bienfaisante sur toutes les plantes autres que les céréales que personne ne songe à s'en plaindre malgré le retard qu'elle occasionne.
Aussi ce matin a-t-on profité de ce contretemps pour aller sarcler les betteraves qui en ont grand besoin. Tout le personnel y est allé: l'homme de journée, les deux domestiques, le berger et le fils du fermier, alors que les jours précédents seul l'homme de journée y travaillait alors que les autres faisaient des charrois de matériaux destinés à la construction à la construction de bâtiments aussi le travail se trouve-t-il fort avancé.
Ces betteraves sont plantées dans une partie d'un champs ensemencé dans le reste en pommes de terre et en blé sur une place occupée l' année précédente par de l'avoine d'hiver . Comme façons on y a fait un gros labour après la moisson, sans déchaumage préalable , puis un deuxième labour au printemps en semant .
La graine , fournie par le syndicat agricole de Brinon, était de l'espèce dite demi-sucrière , qui devient très grosse dans la région. Elle a été semée en lignes espacées de 80 cm au semoir.
On avait eu soin de mélanger quelques graines de choux-raves et de rutabagas à collet violet qui serviront à l'alimentation du personnel et des animaux.
A la Saint-Jean on a fait un premier travail consistant à couper les mauvaises herbes et à éclaircir les betteraves à n'en laisser qu'une tous les 40 cm, ou deux lorsqu'on les trouve trop chétives.
Ce deuxième travail , consistant comme le premier en un binage fait à la main avec une binette à tranchant étroit, a pour but , en même temps que de détruire les mauvaises herbes de remuer la terre pour l'aérer . L'ouvrier suit un rayon binant dans l'intervalle de deux rangs coupant les mauvaises herbes , arrachant les betteraves supplémentaires et dégageant le collet de chaque betterave , en sorte qu'elle puisse facilement grossir dans la terre ainsi ameublie.
Ce travail très difficile les jours précédents à cause de l'extrême dureté de la terre avait été facilité par cette pluie qui avait détrempé le sol sur 4 à 5 cm .
Ce champs d'une contenance d'un hectare mesurant environ 160 m de long et 65 m de large a été planté de 80 raies de betteraves dirigées dans le sens de la longueur. On compte qu'un ouvrier peut faire en moyenne 600 à 700 m par jour , ce qui représente environ 4 raies de ce champs , en sorte que celui-ci nécessite pour ce binage 20 journées d'ouvrier.
Ce terrain est très calcaire, suffisamment argileux cependant, mais de nombreux cailloux , parfois très gros rendent certaines cultures difficiles , le sol a une profondeur de 30 cm en moyenne ; mais quelquefois la roche est beaucoup plus près , en sorte que dans un coin on a cessé de cultiver pour en retirer la pierre qui sert aux constructions.
Quelques autres cultivateurs font passer la charrue entre 2 rangs , puis passent à la houe entre les pieds, ce qui gagne un peu de temps . Le fermier a même songé autrefois de planter les betteraves en carré afin de pouvoir faire passer la charrue en deux sens perpendiculaires pour bien désherber, mais il y a renoncé, car il était trop difficile de planter ainsi.
Mardi 19 Juillet 1921
La pluie étant encore tombée cette nuit et en partie de la matinée , il a été impossible de commencer la moisson aujourd'hui, en sorte que les hommes sont encore allés au binage des betteraves qui est presque terminé maintenant . Le fils Arnoud accompagné d'un domestique est parti avec un tombereau attelé de 2 chevaux chercher près de Brinon à 6 km d'ici de la terre de la terre silico-calcaire qui leur sert à faire du mortier pour la construction du nouveau bâtiment d'exploitation.
La plupart des habitations du pays sont en effet construites avec des pierres calcaires bleuâtres , très dures, abondantes dans les champs à une faible profondeur que l'on relie avec un mortier composé de cette terre et d'un peu de chaux . Les murs ainsi construits sont assez solides , à condition que l'on fasse un revêtement extérieur de ciment pour que l'humidité ne les détrempe pas .
La maison d'habitation que j'ai visitée aujourd'hui est située dans le coin de la ferme sur une petite éminence et orientée Sud-Nord. La façade possède une large porte à 2 battants à laquelle on accède par un escalier à 3 rangées de marche formant perron et 2 fenêtres de chaque côté de la porte centrale. Sur l'un des côtés à l'intérieur du jardin un petit appentis formant remise, et de l'autre côté un toit servant de poulailler et de clapier.
Le toit est très incliné et couvert en ardoises , aux deux extrémités supérieures sont deux girouettes et sur chacune des deux faces latérales est une grande cheminée de briques.
L'intérieur est mal conçu et ne répond pas aux besoins de l'habitation , sans doute parce que sa construction date d'au moins 100 ans. Tous les autres bâtiments depuis ont été reconstruits ou remis à neuf, seule elle n'a pas été touchée .
En entrant on trouve un large couloir sombre car il ne possède aucune ouverture , dedans part l'escalier qui mène au grenier et à la laiterie celui qui descend à la cave , et de chaque côté se trouve une grande chambre .
Celle de gauche sert de salle commune . Elle possède une ancienne cheminée munie d'un four mais depuis longtemps on ne s'en sert plus et un poele l'a remplacé. Comme mobilier : une longue table en chêne avec deux bancs , une armoire et un lit , également une horloge qui n'a jamais pu se décider à marquer l'heure légale qui a jeté une perturbation dans les habitudes des travailleurs des champs . C'est dans cette salle que le personnel séjourne pendant la journée , prend ses repas et veille les longues soirées d'hiver . Une petite pièce contenant un four et servant de buanderie et de fournil la fait communiquer avec le jardin
Celle de droite sert de chambre à coucher pour le fermier, et elle communique avec deux chambres plus petites exposées au Nord servant au logement des fils du fermier.
La cave est peu spacieuse et peu profonde , malgré cela elle est assez fraiche . Au dessus se trouve la laiterie qui est pour ainsi dire placé à l'entresol. Elle possède une fenêtre grillagée exposée au Nord . Elle a pour mobilier une étagère sur laquelle sont disposés des ustensiles divers de laiteries , une table et une baratte. Au plafond sont suspendus des paniers à claire-voie garnis de paille où l'on met sécher les fromages .
Le grenier est très vaste , obscur et conviendrait très bien à la conservation des grains si il n'était pas tout encombré par l'assemblage de fermes et de chevrons de la charpente du toit, qui placés trop bas , rendent la circulation difficile surtout avec les sacs de grain. Aucune ouverture , seulement de place en place quelques tuiles creuses permettent l'aération .
Derrière la maison , un jardin potager planté d'arbres fruitiers et divisé en deux parties , une destinée au fermier et l'autre au propriétaire . On y fait peu de légumes , car le sol y est froid et compact; on préfère les cultiver dans les champs où le sol plus meuble permet d'avoir une plus belle récolte.
Mercredi 20 Juillet 1921
Aujourd'hui , pour préparer la moisson on est allé faire sur les bords des champs de blé les chemins pour permettre à la moissonneuse-lieuse de commencer . Ces chemins sont faits d'un seul coups de faux et font environ 1m50 de large. Le blé ainsi coupé a été lié avec des liens faits en attachant bout à bout du côté de l'épi deux poignées de blé dont les deux extrémités libres sont tordues ensemble et rentrées à l'intérieur de la gerbe . Ces gerbes ont été dressées près de la haie afin de ne pas encombrer le passage de la machine.
L'étendue cultivée en blé est d'environ 13 ha ; ce champs était l'année précédente divisé en trois parties : une ensemencée en légumes et betteraves , la deuxième en trèfle et la dernière avait été laissée en jachère . Dans celle-ci il était rapidement poussé de l'herbe que l'on avait fait paître par les brebis.
Après un fort labour d'automne fait d'abord dans la jachère ,puis dans le trèfle et enfin dans les betteraves et les pommes de terre après l'arrachage , destiné à retourner la terre, à enfouir le fumier , on a opéré les semailles. Trois variétés différentes ont ont été semées en chacune des parties de champs . A la place du trèfle on a mis la variété de grain de pays appelé Raclain, dont les semences provenant de la ferme avaient été passées au trieur, mais seulement pour éliminer les semences étrangères et les trop petits grains de blé. Cette variété a de petits épis très pointus de couleur rouge brun foncé, une paille très longue en sorte qu'il n'est pas rare de le voir verser. Il fournira une très belle récolte cette année car, quoique possédant des épis peu fournis , il y a un si grand nombre de thalles que tous les chaumes se touchent . Comme taille il a environ 1m30 en sorte que l'on aura beaucoup de paille cette année et que l'on ne saura qu'en faire , en en ayant encore sur les greniers de l'année précédente .
Dans la partie qui était en jachère on a semé du Bon Fermier, provenant d'une autre ferme que le fermier exploite à Corvol d'Embernard à quelques kilomètres d'ici. Cest un blé à plus gros épis de couleur pâle beaucoup plus tardif que le précédent ayant un gros grain rond de couleur pâle alors que le Raclain a un grain plus petit plus sec, plus nervuré. La paille est aussi longue , mais plus solide, en sorte qu'avec lui on redoute moins la verse.
Dans le reste du champs à la place des légumes et des betteraves, on a semé de l'hybride hâtif inversable de Vilmorin , qui à cause de l'arrachage tardif de ces derniers a été fait assez tardivement . C'est la première année que le fermier essaye cette variété de blé et du reste il est le seul de la commune qui l'expérimente. La semence a été achetée chez un gros propriétaire éleveur des environs, ancien élève de Grignon qui en plus de son élevage cultive en expérimentation quelques hectares et en vend le produit préalablement trié comme semences. Mr Arnoud voulant lui acheter de ce blé , il lui fut répondu que le prix était de 125 F le quintal , mais que ce serait 10 F de moins s'il appartenait à un syndicat agricole , aussi pour bénéficier de la réduction,s'est-il fait inscrire immédiatement au syndicat agricole de Brinon dont la cotisation n'est que de 5 F.
Les semailles ont été faites au début d'octobre à la main; on essaye de recouvrir à la herse , mais la terre se travaillant mal, le fermier fit enterrer à la charrue à 15cm de profondeur ce qui paraît excessif, cependant le blé a très bien germé et il ne semble pas qu'il en manque beaucoup.
Au printemps on a fait deux travaux consistant en un hersage destiné à ameublir le sol tassé par les pluies d'hiver et en un roulage destiné à favoriser l'enracinement le tallage .
Le temps ayant manqué pour faire un sarclage, on aurait pu croire que le blé aurait été envahi par les chardons, mais il n'en a rien été. Le blé a poussé avec une telle force , principalement le Raclain et le Bon Fermier (l'Hybride hâtif inversable est assez clair ) qu'il a étouffé les mauvaises herbes et j'ai été étonné de trouver ce matin plusieurs chardons de 30 à 40 cm de haut pressés au milieu de la paille et complètement secs. Les liserons et les vesces si nombreux d'habitude ont été également étouffés ce qui est très rare dans les blés.
Les mulots et campagnols qui sont en quantité innombrable ont fait beaucoup de dégâts: ils ont frayés des chemins , ont creusés sous terre dans tous les sens leurs galeries , ont coupés des tiges de blé afin de faire tomber et en entamant ces débris de paille sur le sol ont provoqué avec la pluie une pourriture de la base de la tige .
La terre de ce champs n'est plus aussi compacte car elle est fortement calcaire; c'est de la terre d'aubus , dit-on dans le pays; elle est froide, mais très profonde, et aucun caillou ne gêne le travail. Elle se croûte moins en été et se crevasse moins que les terres voisines ; ce serait une bonne terre à prairie où il pousserait beaucoup de trèfle blanc dit-on. Le blé y vient assez bien ; mais il pousse en paille, en sorte que si l'on n'a pas une variété à paille très grosse la verse est à craindre.
Tout est mûr la moisson peut commencer ; cependant le Bon Fermier est encore un peu vert , mais comme il sera coupé en dernier il aura encore le temps de terminer sa maturation .
Jeudi 21 Juillet 1921
Je suis allé faire une promenade au chef lieu du canton distant de 15 km. La moisson est beaucoup plus avancée que dans la commune , ce qui tient à ce que la terre est moins argileuse , moins froide , aussi la proportion des terres cultivées est-elle plus forte.
J'ai vu couper du blé avec une faucheuse ordinaire à foin à laquelle on avait ajouté un tablier sorte de javeleuse . Le blé tombait par derrière était ramassé par un ouvrier qui le liait et mettait les gerbes sur le côté afin que la machine à son retour ne puisse pas damer.
Passant dans un pré j'ai remarqué des perforations de 1 dm de diamètre environ sur la peau des jeunes animaux . J'ai pensé que cela pouvait être produit par l'hypoderme de boeuf et pour m'en assurer , j'ai interrogé plusieurs habitants qui m'ont répondu que c'étaient par ses orifices que sortaient les taons , que ces trous cicatrisaient ensuite très bien, quoiqu'il n'y repoussait pas de poils . Je leur ai demandé si ils avaient bien vu ressortir des taons par la peau , ils m'ont dit que non , mais en même temps que les trous se produisaient , on voyait les taons voler autour des animaux , on croyait que c'était ainsi que naissaient les taons . L'hypoderme est cantonné dans cette région probablement parce que les prairies sont proches des régions boisées et le développement en a du être favorisé par l'année précédente chaude et sèche . On estime que cet insecte fait peu de dégâts , seul le prix des peaux en pâtit.
Vendredi 22 Juillet 1921
La moisson de blé commencée hier ,s'est continuée aujourd'hui et les deux tiers du champs environ 9 ha sont coupés ;
La moissonneuse lieuse Diering était restée sur le champs , couverte d'une bâche pour empêcher la pluie ou la rosée de mouiller les toiles . Le premier travail fut de la réviser entièrement: vérifier les vis et écrous et regarder si tous les organes étaient intacts puis de la graisser ,introduisant avec une burette de l'huile dans les trous graisseurs ,dans les engrenages et les chaines et dans les moyeux des deux roues . On vérifia si il restait assez de ficelle et on l'attela .
La machine est tirée à l'aide d'un timon fixé à la machine par une forte goupille dans l'axe de la roue motrice . Les quatre chevaux de l'attelage avaient chacun comme harnais une bride , un collier et un porte-trait soutenu par deux courroies passant sur le dos . Deux chevaux furent attelés de part et d'autre du timon, leurs traits accrochés aux extrémités de deux barres d'attelage mobiles fixées elles-même à une autre barre mobile autour du timon, la chaîne du bout du timon fut attachée à un crochet du collier .
Un troisième cheval a ses deux traits rassemblés et fixés au crochet du bord du timon, une barre de bois empêchant les deux traits de se tendre irrégulièrement et de risquer de prendre les pattes de l'animal .
Le quatrième cheval fut fixé devant ses traits fixés au collier du troisième , une barre maintenant encore leur écartement
La machine est conduite par le fils du fermier tandis que le domestique mène les chevaux et cela au moyen de deux guides : le premier partant de la boucle gauche de la bride du premier (côté opposé à la coupe ) et aboutissant à la boucle gauche de la bride du 3è en passant par l'anneau supérieur du collier du second . Le deuxième partant de la boucle gauche de la bride du second pour aboutir avec la première . En sorte que le conducteur a dans sa main trois brides et peut ainsi ainsi agir sur les quatre chevaux
La machine coupe 1m50 de large et comme elle marche à une moyenne de 4 km/h ( en réalité elle marche à 5km/h mais en tenant compte des arrêts nécessaires pour tourner on est ramené à 4 km/h cela fait qu'elle coupe environ 0,60 ha par heure ,ce qui pour une journée de 8h fait environ 5 ha . Les gerbes ne tombent que lorsqu'il y en a trois sur la fourche , en sorte qu'elles tombent sur des lignes parallèles , ce qui facilite le ramassage .
Deux hommes ramassent les gerbes chacune pesant environ 4 kg les dressent en tas de 9 ou 10 en ayant bien soin de les mettre sur leur adroit , car elles sont aplaties afin qu'elles ne soient pas renversées ensuite . Dernièrement j'ai vu dans un champs après un fort coup de vent toutes les gerbes dispersées ,cela parce qu'on avait fait des tas trop petits .
La machine a été réglée pour ne couper qu'à 25 cm au dessus du sol, ce qui rend la coupe moins pénible , les chaumes étant particulièrement dures , et évite les risques de détériorations . De plus comme l'on a de la paille de l'année précédente et comme la récolte même coupée à cette hauteur en fournit assez pour les besoins en litière des animaux , il est inutile d'exporter cette paille supplémentaire.
Samedi 23 Juillet 1921
Toute la journée on a continué la moisson en sorte que tout le champs de blé a été coupé . Cette chaleur extrême qui ne cesse de sévir a tellement séché le blé qu'il est difficile de le manipuler sans l'égrener . Seul le blé qui était encore un peu vert au moment de la coupe est un peu moins fragile et ce n'est pas un inconvénient de le couper avant qu'il soit mûr complétement , car il se fait ensuite et le grain n'en est pas moins beau.
Les juments servant aux travaux de la ferme sont mises dans le pré le plus voisin de l'écurie pour y passer la nuit . Le matin on les rentre , on leur donne deux litres d'avoine et les attelle pour le travail aux champs . La matinée finissant à environ 11h30 , les bêtes sont abreuvées et on les met à l'écurie où on leur donne une petite botte de foin et 2 litres d'avoine et on les mène à l'abreuvoir . Le travail recommence vers 2 heures pour se terminer à 7 heures .
Ce matin a eu lieu le premier départ d'animaux gras pour Paris.
Les animaux sont réunis sous la conduite d'un toucheur de boeufs, sorte de domestique ne s'occupant que de l'achat des bêtes, de leur engraissement et de leur vente.
Chaque propriétaire marque les siens d'un indice spécial afin d'abord de permettre au toucheur de reconnaître les différends animaux pour la vente et aussi de les faire vendre le plus cher possible , car chaque propriétaire a sur le marché un certain renom , et l'acheteur n'hésite pas à le payer un peu plus cher , certain de la qualité .
Le fermier a envoyé deux magnifiques vaches bien grasses . L'une était une vache de six ans inscrite au Herd-Book de la race Charolaise Nivernaise et destinée à la reproduction , malheureusement elle ne donnait pas suffisamment de lait et ne pouvait pas élever ses veaux , ce qui est dans la région le plus grand défaut , en sorte que on l'a engraissée pour la boucherie . De plus elle avait été atteinte de la fièvre aphteuse l'année précédente et souffrait encore de deux pattes , ce qui lui rendait la marche très pénible . Elle pesait 800kg et on estime que vu sa qualité elle serait payée au moins 4F75 le kg brut ce qui la mettrait à 3800F . La deuxième était une vache de la même grosseur que la précédente mais plus vieille et un peu moins grasse , pesant 700 kg . On pense qu'elle sera vendue un peu moins chère au kg et on ne l'estime qu'à 2800F .
Un autre propriétaire avait envoyé quatre gros boeufs gras à point pesant chacun aux alentours de 1000kg , deux même dépassant ce poids ; un autre envoyant deux bons boeufs et quatre vaches , deux parce qu'elles étaient vieilles , la troisième qui était mauvaise laitière et incapable de nourrir son veau et la dernière parce qu'elle était atteinte d'une tare la rendant impropre à la reproduction.
Cela fait douze animaux que le toucheur , aidé par trois hommes ,a conduits à la gare d'Arzembouy et embarqués en un wagon à destination de Paris .
D'habitude on met 4 ou 5 animaux supplémentaires par wagon , mais à cause de l'extrême chaleur de cet été , on préfère qu'ils soient moins serrés dans un wagon pendant le trajet .
Le voyage coûte très cher et la compagnie qui payait la place du conducteur aller retour , ne paye plus que l'aller.
On n'envoie encore pas beaucoup de boeufs gras en ce moment car l'herbe ne manque pas et chaque jour les fait gagner en poids ,et de plus on espère que les cours qui ont notablement baissé à cause de la sécheresse persistante , remonteront un peu et on attend... Mais d'autre part on hésite à garder les animaux arrivés à un état d'embonpoint suffisant , car on craint que la fièvre aphteuse qui sévit dans les environs immédiats , ne se propage et fasse perdre en peu de jours ce que ces animaux ont mis plusieurs mois à gagner.
Dimanche 24 Juillet 1921
Ce matin les hommes sont allés avec la machine couper le peu d'orge cultivé pour la nourriture des volailles et des porcs .l'étendue cultivée était d'environ 2 ha sur une place récoltée en blé l'année précédente , puis labourée et ensemencée au printemps. L'orge était assez épaisse , l'épi est serré , le grain est gros mais la tige est très courte . Il y avait plus de mauvaises herbes que dans le blé, car cette céréale à paille beaucoup plus courte n'a pu les étouffer et de plus les semences étaient moins propres que celles de blé et contenaient beaucoup de semences étrangères dont une forte proportion d'avoine.
Aussitôt la coupe terminée , tout le personnel de la ferme , sauf le fermier et le berger sont partis avec la machine pour Corvol d'Embernard où le fermier possède encore des terres afin d'y faire la moisson du blé en sorte qu'ici la moisson de l'avoine ne sera pas commencée avant deux ou trois jours .
Je suis allé ensuite avec le fermier pour tâcher de ramener deux jeunes châtrons de l'année précédente qui avaient changé de pré et qui s'étaient mêlés au troupeau du propriétaire voisin. Ces deux animaux avaient été mis dans la pré du Beuchot qui avait été fauché cette année et dont le regain a très peu poussé par suite de la sécheresse persistante. Pour attendre que l'herbe pousse , ces deux animaux seulement y avaient été mis en pâture ; mais comme ils s'ennuyaient , ils auraient franchi le mur pour retrouver les animaux du pré voisin .
Pour les ramener il a fallu employer une ruse . Une des vaches de la ferme a été attachée aux cornes par une corde et conduite dans le pré voisin .
Tous les animaux l'ont suivie jusqu'à la barrière du pré et là avec beaucoup de peine nous avons réussi à isoler les deux jeunes boeufs , les faire sortir seuls du pré et nous les avons ramenés dans leur pré dont le mur de clôture a été réparé à l'endroit où ils l'avaient franchi.
Ce pré est clos aux deux tiers par une haie et le reste par un mur en pierres sèches en assez bon état . Il possède deux mares en ce moment bien pleines , l'une très grande et ne tarissant jamais , l'autre plus petite ,cependant plus profonde mais arrivant à se tarir pendant les années sèches . Il y a peu d'ombre , ce qui nuit un peu à l'engraissement des animaux pourtant trois gros poiriers sauvages sont près d'une haie mais ils sont très haut et leur ombre trop peu épaisse.
Lundi 25 Juillet 1921
Aujourd'hui l'homme de journée qui n'est pas parti pour la moisson à Corvol a terminé la coupe de chardons dans les prés qu'il avait commencée avant le binage des betteraves . Il est déjà un peu tard pour faire cette opération, car les fleurs des chardons sont déjà très avancées et la graine peut ensuite mûrir et se disséminer partout grâce aux aigrettes soyeuses dont elle est munie . Deux genres principaux sont représentés dans les prairies : la Cirse avec le Cirsium arvense et le chardon avec le Carduus crispus .
Ils ont été coupé à la faux , ce qui est long aussi certains propriétaires emploient-ils la faucheuse qui a de plus l'avantage de couper les refus que laissent les animaux et qu'ils mangent bien ensuite lorsqu'ils ont été séchés par le soleil.
Pour pallier à l'inconvénient des refus laissés par les bovins aux endroits où il y a des chardons , des renoncules et des carex et aussi de la bonne herbe repoussant sur les bouses , on a l'habitude de mettre dans chaque prairie avec les boeufs des chevaux et des brebis qui peuvent en quelques endroits manger les refus laissés par les premiers.
Deux prés touchent à la ferme et servent à mettre les animaux nécessitant le plus de surveillance .
Dans le premier , appelé ,Champs de Trois , on met les vaches à lait de la ferme avec leurs veaux. Ainsi il n'est pas difficile d'aller les chercher le matin et le soir afin de les amener à l'étable pour opérer la traite, car la barrière donne dans la cour de la ferme . Ce pré d'une contenance de 2 ha est entièrement clos par des murs en pierre sèche et possède une seule mare communiquant avec celle de la cour de la ferme .
Le deuxième pré , appelé pré Bardin , est beaucoup plus grand et de très bonne qualité . Il mesure environ 6 ha, s'étend au milieu du pays en sorte que beaucoup de volailles y vont picorer , le débarrassent des sauterelles . Il est formé de terre très compacte à tel point que de la terre retirée d'une mare m'a semblé être de l'argile presque pure, aussi peu de taupinières en ce pré, car elles ne peuvent pas circuler facilement dans le sol. Comme bétail il porte douze vaches avec leurs veaux nés au début de l'année , le taureau , les six juments de travail pendant le repos et deux porcs à l'engraissement.
Pas de drainage , comme dans toutes les prairies de la commune , où l'on ne fait que les fossés pour recueillir en hiver l'eau de ruissellement et la conduire dans les mares qui sont ainsi remplies toute l'année. Ces petits fossés , larges de 0m40 et profonds de 0m30 ont des parois à pic ou très peu inclinées, car aucun danger d'éboulement à craindre et sont creusés soit à la charrue soit à la pioche et la pelle.
Dans chaque pré on trouve une ou plusieurs mares selon sa superficie . En général on en a fait le plus grand nombre possible pour que les animaux pendant les grandes chaleurs se déplacent le moins possible afin de ne pas nuire à leur engraissement.
Elles sont creusées en général à la partie la plus basse du pré afin de bien se remplir durant l'hiver et sont le point d'aboutissement de tous les fossés drainant l'eau du pré. Les bords sont presque verticaux , sauf celui par lequel accèdent les animaux et qui sont en pente douce , empierré de plus afin que les animaux ne s'enfoncent pas dans la terre humide . De petits murs de 0m80 de haut , dépassant à peine le sol de 0m30 empêchent les animaux de tomber dans la mare et d'ébouler de la terre en marchand trop près du bord de la mare.
Leur forme et leurs dimensions sont variables . En général les grandes ont deux entrées, mesurant une dizaine de mètres de long sur cinq à six mètres de large et deux mètres de profondeur au milieu. Les petites n'ont qu'une entrée mesurant quatre ou cinq mètres de long sur quatre à cinq mètres de large. Souvent la terre rejetée sur un côté forme un talus empêchant les animaux de trop s'approcher des bords taillés à pic . Les mares ainsi creusées sont absolument étanches et conservent de l'eau même par les étés les plus chauds, de sorte que les animaux ne souffrent jamais de soif.
Mardi 26 Juillet 1921
Les hommes sont rentrés ce matin de Corvol, y ayant achevé la moisson du blé et de l'orge , et sont allés couper l'avoine d'hiver, très avancée à l'heure actuelle et si sèche qu'il faudra la rentrer aussitôt si on ne veut pas la voir s'égrener . C'est une avoine grise à paille très courte semée après un fort labour d'automne suivi de plusieurs hersages dans une partie du champs laissé l'année dernière en jachère et abandonnée à la pâture des moutons. Elle a été coupée à la moissonneuse-lieuse réglée de façon à couper très près du sol et à lier au tiers inférieur des gerbes.
On a mené ce soir deux jeunes animaux dans le pré du moulin, ce qui porte à quatorze le total des animaux qui y pâturent . Les Animaux y sont mal par ces fortes chaleurs car ily a peu d'ombrage. En effet pas d'arbres du tout , seulement deux poteaux permettant aux animaux de se frotter . Les bêtes se réfugient le soir près du mur de la porcherie de la ferme du Moulin afin d'être un peu à l'ombre aussi les alentours de ce mur sont-ils tout dégarnis d'herbe par suite du piétinement incessant des animaux . Comme clôture ce ne sont que des murs en pierres sèches , sauf le long du ruisseau où l'on a des poteaux avec fils de fer.
Mercredi 27 Juillet 1921
Aujourd'hui on a commencé la rentrée et l'engrangeage des récoltes . Pour terminer le plus rapidement possible, le fermier a trouvé trois ouvriers supplémentaires et a réparti le travail de la façon suivante : six hommes pour aller chercher les gerbes dans les champs avec trois chariots attelés chacun de deux chevaux et les trois autres ne quittant pas le grenier pour décharger et empiler le blé;
Les chariots en service dans le pays sont formés de deux trains composés chacun d'une grosse pièce de bois supportant à ses deux extrémités les axes des roues reliés entre eux par une longue traverse de bois retenue à chaque bout par une goupille. L'écartement des roues est d'environ 1m50 et la distance entre les deux essieux est réglée à 3 m. Deux pièces de bois inclinées appelées ridelles servent à appuyer deux sortes de barrières à claire-voie qui retiennent le contenu du chariot et qui sont elles mêmes réunies entre elles à l'avant et à l'arrière par une traverse retenue par deux goupilles de chêne ou de fer . Ils sont munis de deux brancards entre lesquels on attelle le 2è cheval et le premier à ses traits fixés à un crochet situé à l'extrémité de ce timon.
Un des hommes était monté sur le chariot et empilait les gerbes qu'on lui tendait . Il remplissait d'abord le fond du chariot puis mettait les autre gerbes à plat sur trois ou quatre rangs de large ne tournant vers l'extérieur que les parties inférieures des gerbes , puis pour rétablir l'horizontalité (la gerbe allant en effet en s'amincissant de la base au sommet) mettait tous les deux rangs au milieu des gerbes tournées en sens inverse.
L'homme resté à terre s'occupait des deux chevaux les faisant avancer lorsqu'un tas de gerbes était chargé vers un autre tas et tendait à l'aide d'un trident en fer les gerbes à celui qui les empilait .
Une fois le chariot chargé (il contenait alors à ce moment douze rangées de gerbes on passait par dessus une longue perche attachée très bas sur le chariot par une chaine fixée aux deux montants du chariot et dont l'extrémité libre en arrière du chariot portait une corde qu'on enroulait l'extrémité à une sorte de cabestan, en sorte que tout le chargement était bien serré et ne craignait pas de verser en route .
Le chariot était muni d'un frein formé d'un gros sabot de bois creusé d'une large rainure lui permettant de se fixer sur la roue et manoeuvré à l'aide d'un levier en bois que l'on peut maintenir en position de serrage avec une chaine.
Jeudi 28 juillet 1921
On a continué aujourd'hui la rentrée du blé malgré une chaleur étouffante et un vent brulant du Sud avec deux chariots seulement , car il a été impossible d'avoir les deux ouvriers supplémentaires d'hier.
Cette rentrée se fait dans d'assez mauvaises conditions; en effet le blé est si sec que la paille se casse et que les épis s'égrènent et principalement à la place des tas de gerbes , il reste beaucoup de grains par terre .
Cette grande chaleur ne peut continuer , en effet de gros nuages noirs annoncent l'orage et l'on a coutume de dire dans le pays que le vent du midi ne souffle pas longtemps sans amener de la pluie .
J'ai rencontré un fermier du pays à qui j'ai demandé l'état de la récolte; il m'a dit qu'elle était magnifique , comme du reste dans la plupart des fermes de la région . Comme blé il avait semé un mélange de Raclain et de Bon Fermier pour les raisons suivantes , le Raclain, dit-il produit beaucoup , a une très longue paille mais assez grêle et pour cela craint beaucoup la verse . Le Bon Fermier se plait beaucoup moins bien dans ce sol , aussi dégénère-t-il rapidement; mais il aune paille beaucoup plus forte en sorte que semé avec le Raclain il le soutient et l'empêche de se coucher et de plus dans ce mélange de deux variétés les épis n'arrivent pas tous à la même hauteur il peut en pousser et en mûrir davantage.
Venant ensuite à parler des engrais il me dit que l'on n'en employait pas dans la région. D'abord parce que l'on avait assez d'engrais organiques qui sont du reste le meilleur des engrais et ensuite parce que les engrais chimiques brûlent le sol et l'épuisent. Comme exemple il me site un champs dans lequel le fermier précédent employait des engrais et me dit qu'il n'avait malgré des efforts le ramener à sa fertilité naturelle. Puis il me fit la réflexion contradictoire que si naturellement il avait continuer de cultiver à l'aide des engrais , il aurait sans doute eu de bons résultats, mais qu'il n'avait pas l'habitude de cultiver ainsi.
La cause du refus dans la région d'employer des engrais provient du fait que l'on obtient des résultats moyens par un bon travail du sol et une adjonction d'une quantité moyenne de fumier de la ferme et que l'on ne croit pas qu'il soit possible d'obtenir de meilleurs résultats. Cette routine fait que l'on ne cherche pas non plus à améliorer les rendements par le choix de meilleures variétés et l'emploi de bonnes semences ¨Nos pères , disent les paysans ont toujours cultivé ce blé , cela prouve qu'il est bon ¨Il est bien évident que l'on ne peut pas changer radicalement de variétés dans la région, mais on pourrait l'empêcher de dégénérer soit en prenant des semences dans une commune voisine ou même dans une autre ferme de la commune , et en le triant afin de ne semer que de beaux grains , exempts de plus de semences de mauvaises herbes, et non comme font actuellement beaucoup d'exploitations de semer toujours le même grain et tel qu'il sort de la batteuse .
Ce fermier m'a dit qu'il avait fait une récolte d'orge extraordinaire , elle avait poussé très serrée, et la paille était très longue , en sorte qu'il avait rentré 13 chariots pour un champs de trois hectares.
Seul un fermier a eu une mauvaise récolte de blé et pour la raison suivante: son champs était ensemencé en orge l'année précédente ; après la moisson de cette céréale au lieu de déchaumer aussitôt afin que le sol s'aère , il avait laissé pousser un peu de trèfle sorti de terre cette année-là afin de suppléer à son insuffisance en foin de prairie . De sorte qu'il n'avait labouré qu'en septembre peu de temps avant les semailles et ainsi la terre n'avait pas été suffisamment préparée . Et ce qui le prouve bien c'est qu'un petit coin du champs qui avait été préparé à temps se différenciait du reste.
Vendredi 29 Juillet 1921
Nous avons eu cette nuit un orage accompagné d'un vent violent et d'une forte pluie qui est tombée à trois reprises et a bien détrempé le sol. De plus le temps n'est pas complètement remis aujourd'hui , il souffle un vent un peu plus frais et le ciel est couvert de gros nuages gris.
Toute la végétation attendait avec impatience cette eau bienfaisante , les légumes grossiront un peu et les prairies reverdiront.
Le vent a renversé beaucoup de gerbes qu'il a fallu relever ce matin. Dans le champs de la ferme aucune n'a été jetée à terre et cela parce que les tas étaient suffisamment gros et les gerbes les composant assez inclinées.
Quoiqu'elles fussent bien mouillées , le fermier en a rentré plusieurs chariots ce matin, cela n'a pas d'inconvénient car ce n'est pas du blé que l'on battra de suite et il aura tout son temps pour sécher dans le grenier et même ainsi le grain contiendra un peu plus d'eau , et sera plus beau et plus lourd.
Je suis allé ce soir visiter les animaux qui se trouvent dans un pré situé près du bois communal et appelé Champ de Siam parce que ce morceau n'est mis en prairie que depuis relativement peu d'années , en effet un plan fait en 1882 le mentionne comme terre.
C'est un bon pré en terre un peu moins forte , possédant de plus de l'ombrage par le bois et les nombreux arbres des haies et d'une contenance de 6 ha 40 . Il est le pré qui est situé le plus loin de la ferme en effet à 1 km500 en passant par la route et a un accès sur la route du bois par l'intermédiaire d'un petit chemin de deux cents mètres de long .Il est clos de haies , sauf sur la bordure du bois où un petit mur empêche les animaux de pénétrer dans celui-ci.
Comme troupeau il y a actuellement dix bovins dont 4 jeunes châtrons de deux ans , 2 poulains de deux ans nés à la ferme et un troupeau de 24 moutons dont la moitié de brebis à l'engraissement et le reste d'agneaux de l'année . Ils sont abreuvés par une immense mare située au milieu du pré et qui a bien 20 mètres de long sur dix de large à double accès et sans murs pour empêcher les éboulements
Il y pousse surtout dans le Sud une herbe dure vert foncé , contenant beaucoup de carex , car c'est un ancien bois défriché et malgré qu'on l'avait cultivé un certain temps avant de le mettre en pâture , cela n'a pas encore amélioré complètement la qualité de l'herbe . Le fermier a l'intention d'y épandre cette année des scories de déphosphoration qui favorisent la pousse des bonnes herbes.
Samedi 30 Juillet 1921
On a profité ce matin de la rosée matinale qui mouille les chaumes , les assouplit et les empêche de se briser pour rentrer quelques chariots de blé . Actuellement on a déjà rentré trente chariots un peu moins des deux tiers du champ . Il a fallu cesser de bonne heure le travail qui n'était fait du reste qu'avec un seul chariot pour aller avec un tombereau chercher des matériaux pour la construction de nouveaux bâtiments d'exploitation.
Partout dans le pays on a hâte de rentrer le blé depuis hier , d'abord parce qu'on profite du bon état d'humidité et ensuite parce que les avoines pressent à couper . Elles sont encore vertes il y a quelques jours , mais cette grande chaleur les a hâtées , aussi faudra-t-il les couper bientôt si l'on ne veut pas qu'elles s'égrènent entièrement . Les avoines d'hiver sont magnifiques comme grain, car elles ont muri normalement, mais celles de printemps auront dit-on beaucoup de grains blancs, c'est à dire des grains qui à l'état pâteux ont été saisis par le soleil, et sont restés petits , secs, et à enveloppe blanche, car ils n'ont pas eu le temps de prendre la couleur brune produite par une bonne maturation . Elle sera légère et renfermera une forte proportion d'enveloppes . Il faudra m'a-t-on assuré douze double-décalitre pour faire un quintal, c'est à dire que l'hectolitre pèsera environ quarante deux kg.
En passant dans la partie du champs des Crées ensemencé en orge j'ai remarqué que le trèfle violet commençait à pousser , ce trèfle a été semé au printemps dans l'orge après un léger hersage ; il ne lève qu'assez tard et ne commence à se développer que quand la céréale a été coupée . S'il est bien installé, on le laisse pour l'année prochaine où il fera du foin et servira ensuite de pâture aux chevaux.
Je suis allé ensuite visiter les animaux dans le pré dit Champ de Marsiges parce qu'il était auparavant mis en cultures . Avec l'autorisation du propriétaire et parce qu'il trouvait qu'il avait trop de terres à cultiver le fermier avait il y a deux ans décidé de le mettre en pré. Cela était d'autant plus commode et utile que c'est un assez petit champs (3 hectares de superficie ) assez irrégulier et par ce fait difficile à labourer , et de plus entièrement clos par des haies vigoureuses , contrairement aux autres champs qui ne sont séparés des voisins que par des sillons repérés par des bornes plantées en terre ou par de petites haies bien entretenues, les plus basses et les moins larges possible pour ne pas nuire aux cultures avoisinantes.
Après une récolte de blé d'hiver ce champs fut labouré très profondément , hersé plusieurs fois et ensemencé avec les semences de graminées de prairies fournies par le propriétaire . Au printemps suivant il a déjà poussé une grande quantité d'herbes, mais avec une abondance de trèfle rouge en sorte que l'on n'y a mis en pâture que les chevaux , car ceux-ci ne redoutent pas la météorisation produite chez les bovins par cette légumineuse.
Mais cette année le trèfle rouge a diminué pour faire place à du trèfle blanc et on a pu y mettre des bovins, actuellement il porte neuf jeunes animaux de dix-huit mois .
La pâture est donc constituée et d'un bon rendement. La deuxième année dans ce pays , ce qui prouve combien les prairies conviennent à cette nature de terre. Partout il en est de même et dans toute la région à cause de la difficulté du travail de ce sol, on crée de nouvelles prairies qui nécessitent moins de travail pour leur entretien que les champs et actuellement procurent de beaux bénéfices .
C'est sans aucune peine que s'opère cette transformation. Quelques uns sèment , d'autres laissent simplement s'engazonner naturellement et cette terre contient tellement de graines à l'état latent que dès que l'on favorise leurs pousses elles sortent toutes à la fois . Et dans tous les endroits où la terre n'est pas trop humide , il ne pousse que de la bonne herbe . Les mauvaises semences des champs qui poussent se développent très peu .
A un endroit où la haie était moins vigoureuse le fermier a planté à l'intérieur du pré une clôture à 0m50 de la haie avec des poteaux de bois réunis par des fils de fer pour éviter que les animaux puissent s'en approcher en attendant que la haie puisse se développer.
On a également creusé une mare à une seule entrée dans le fond et contre la haie et dont la terre rejetée sur les deux côtés forment deux buttes empêchant aux animaux de s'approcher trop près
Aujourd'hui a lieu la deuxième expédition de boeufs pour Paris ; mais le fermier n'en n'a pas envoyé car il n'en n'a pas qu'il trouve assez gras.
Dimanche 31 Juillet 1921
Comme rien ne presse en ce moment , la journée a été consacrée au repos. Les uns sont allés à une petite fête des environs et les autres , munis d'un carrelet sont allés dans plusieurs grandes mares pêcher des carpes .
Nous sommes allés dans la soirée visiter la luzernière afin de juger de son état . La luzerne y a très bien repoussé , elle commence à être en fleurs et l'on pense que l'on pourra faire la deuxième coupe aussitôt que l'avoine de printemps sera coupée et rentrée.
Elle a été semée au printemps de 1918 dans de l'orge d'hiver et a très bien réussie, ce qui est assez rare dans ce type de terre, et c'est une des causes pour laquelle on délaisse dans le pays la luzerne que l'on remplace par les herbes fourragères artificielles annuelles : trèfle et sainfoin. Un autre raison de l'abandon de la culture de la luzerne est que l'on trouve qu'elle occupe la terre trop longtemps et cela nuit au système d'assolement triennal adopté ici.
Depuis sa plantation elle a régulièrement fourni deux coupes par an, et a porté les chevaux en pâture après la deuxième coupe , et cela sans recevoir aucune façon culturale, sauf l'année précédente où on l'a hersée au début du printemps pour l'aérer et pour détruire les mourons qui l'avaient envahie , accident extrêmement rare en ce pays argileux .
On l'appèle le champ de Croix à cause d'une croix plantée à l'intersection de trois routes ,il est bordé par ces trois routes et de plus il est de forme triangulaire. Il est clos de murs sur deux côtés et de haies sur le troisième et il a une contenance de 2ha25 .